Maweja Nangila : L’Un dont émane le Multiple, sans rien perdre de Soi de KLAH Popo
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Les Occidentaux prêtent abusivement au Français Laurent de Lavoisier (1743 – 1794) la paternité de l’idée selon laquelle « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ». Pourtant, les Luba particulièrement, et les Ba Ntu en général, n’ont pas eu besoin de lire le «père de la chimie moderne » pour connaître cette propriété primordiale du démiurge Maweja Nangila : cet Un incrée, qui se transforma en Multiple sans rien perdre de soi. D’ailleurs, Maweja Nangila fait penser à Maa Ngala des Bamana, ou encore à Mawu Segbo Lisa des Adza-Tado, à Jeki la Njamb’a Inono des Duala ; a fortiori Atoum des Kamatyw. Autant de dénominations négro-africaines du « Non-crée initial », ce « […] Grand-Primordial du commencement[1] » appelé aussi par les Luba : « Nyna-Ntu, Mère-de-l’Etre[2] ».
De fait, nombre de connaissances ontologiques fondamentales, dont la découverte est hâtivement attribuée à des savants occidentaux, sont disponibles dans la littérature écrite, orale, tégumentaire, et autres institutions ou pratiques culturelles négro-africaines ; des siècles, voire des millénaires avant la naissance de leurs auteurs sanctifiés par l’idéologie de la « suprématie blanche ». En 1954, à travers son livre intitulé « Stolen Legacy », James Granvile Mona Georges avait déjà brillamment stigmatisé cette fâcheuse habitude des Européens à s’attribuer des connaissances qu’en réalité ils ont seulement empruntées à d’autres peuples en taisant leurs sources[3].
Quant à Mubumbila Mfika, ses recherches visent à extraire directement la précieuse science contenue dans les traditions négro-africaines ; laquelle est si souvent ensevelie par l’érudition africaniste sous une logorrhée mythomane charriée par des travaux d’ethnologie, anthropologie, mythologie, etc. avec leurs élucubrations sur la « mentalité prélogique », « la politique du ventre », et autres primitivisme ou animisme. Ainsi, Mubumbila Mfika nous accompagne – tel un Oupoaout – à la rencontre passionnante de la science africaine des nombres, porte d’entrée privilégiée vers les secrets d’une richissime théorie de l’origine de l’univers et de la vie sur Terre conservée jusque dans les signes graphiques des tatouages Ba Ntu[4].
L’Un, la Trinité et le Multiple : triptyque de la création
« Au commencement de toutes les choses, Il se manifesta Seul, et par lui-même. Il était encore Seul, tout était Un, entier comme un œuf, entier comme une calebasse. […] De par sa puissance, Il se métamorphosa. Il créa ainsi trois Ancêtres Aînés qui sont :
- lui-même, Maweja Nangila
- le second Mvidie, Tshiame Mvidie Mukulu
- le troisième Mvidie, Mvidie Mukulu wa Tshiama
Cette métamorphose par trois de la personne de l’Ancêtre Aîné fut suivie par une métamorphose par quatre. Car, après les trois premiers Ancêtres Aînés, Maweja Nangila en créa un quatrième, Mule Muedi Maweja, « animateur et régulateur de la pérégrination des Nikishi (dans le sens européen des esprits, des âmes) alternativement incarnés, désincarnés et réincarnés.
Après, Mvidie Mukulu créa encore deux fois quatre Mvidie Minene (Ancêtres supérieurs, Importants ou Principaux), en sorte qu’ils furent douze en tout. C’est ainsi qu’il créa douze Mvidie en grande perfection, par trois fois quatre, car Maweja Nangila créa dès le début par les nombres trois et quatre.
On dit encore que Maweja Nangila créa par la suite, et toujours par séries de quatre, une multitude de Petits ou Cadets Mvidie autour des premières, et l’on dit aussi qu’il en crée encore, même de nos jours. Les pouvoirs de ces Mvidie tardivement crées appartiennent à l’ordre du nombre 12, 24, 48, 96, …. Infini.[5]»
L’Un qui « se manifesta Seul, et par lui-même » indique assurément que pour les Ba Ntu (en l’espèce les Luba) la cause primordiale de ce qui est est ce qui a toujours été, l’ayant été par soi-même. Qu’en conséquence, l’autre de la création est rigoureusement « l’incréation » : sans étendue ni durée ; infinie. Eternelle…
L’Un, qui tout en étant soi devint trois « Ancêtres Aînés » évoque le rôle primordial de la trinité comme une propriété essentielle du processus de la création ; des circonstances de la venue à l’être de ce qui est. Aussi, dans une acception anthropomorphique, cette trinité inaugurale Luba fait-elle penser à celle des Ancêtres Kamatyw : Wsirê-Asâ-Herw (« Osiris, Isis, Horus »).
En tout état de cause, l’idée d’une trinité inaugurale ne peut pas avoir été introduite en Afrique par les religions dites « révélées » ; ainsi que trop de charlatans le prétendent. Ces religions d’esclavagistes étrangers ont plutôt imposé aux Africains leur conception puérile de la trinité ; après avoir disqualifié toute tradition cosmologique, cosmogonique, spirituelle, autochtone. Or, l’idée de la trinité ne se réduit pas, loin s’en faut, à son acception anthropogénique, car elle est éminemment polysémique. Ce n’est pas seulement de l’origine de la vie humaine dont il est question, mais aussi et surtout de l’origine de « tout ce qui est » ; soit une préoccupation absolument radicale, profondément cosmobiologique ; d’aucuns diraient religieuse. D’ailleurs, cette trinité inaugurale fait également penser à H20 : l’Eau Primordiale…
Outre la trinité originelle, il y a la gémellité saisissable ici à travers le couple 3 et 4, deux moments distincts de la « métamorphose » de Maweja Nangila ; couple qui rappelle ce qu’évoque Germaine Dieterlen chez les Bambara : « […] il est dit de l’univers réalisé qu’il a été conçu et perçu à 3, connu à 4. […] Il en résulte que la masculinité (symbole 3) est considérée dans la nature comme un stimulus de départ, en déterminant la fécondité, mais que l’épanouissement de cette dernière et de sa connaissance totale ne peut être accompli par elle que dans la féminité (symbole 4) [..] dans l’univers pensé par yo, rien ne pouvait être engendré sans le concours de complémentaires ou jumeaux dont le type est le couple masculinité-féminité.[6] »
Bien plus : au-delà de la gémellité, de la trinité, ou encore de quelque multitude, il y a l’Incrée ; c’est-à-dire l’entité pré-ontologique comme « vide vivant », comme condition préalable à toute possibilité d’être ; dont tout procède et qui procède de soi. Transcendant : « […] l’Un est au-delà de façon absolue, c’est-à-dire verticalement, horizontalement, abyssalement, et ontologiquement. […] Il est absolument Transcendant, Eloigné, Autre, Sublime […] L’Un n’est pas l’Etre, n’est pas Ce qui est, il est Père-Créateur de l’Etre, Sha-Ntu […][7] »
Le Vide comme Energie, et l’œuf comme forme du vide
Avant le commencement, il y a une forme vide, un « œuf » ou une « calebasse ». Puis ce néant, que l’on peut comprendre comme étant de l’antimatière, vibra. Selon Eugène Wonyu (cité par Mbog Bassong[8]) : « tous les mythes africains de l’origine de l’homme partent soit d’un œuf, d’une spirale ou d’un néant qui subit des vibrations dues à des énergies cosmiques, lesquelles transforment cet œuf ou cette spirale en mouvements d’abord fermés, puis se déroulant jusqu’à s’ouvrir en laissant tomber un couple androgyne : homme-femme, lesquels fécondés par l’apport de ces énergies nouvelles donnent naissance à un rejeton. »
Dans le texte luba cité ci-avant, la vibration initiale produisit une énergie qui se transforma en Maweja Nangila, Tshiame Mvidie Mukulu et Mvidie Mukulu wa Tshiama. Plus tard, survint un quatrième effet de cette transformation sous le nom de Mule Muedi Maweja. On peut rapprocher ces quatre premiers éléments de la venue à l’être de l’existence aux quatre aspects fondamentaux de l’être, dont la découverte est fallacieusement attribuée à quelques « philosophes grecs présocratiques » : lumineux, gazeux, liquide, solide (ou respectivement « feu », « air », « eau », terre » de ces Grecs).
Mais, à bien considérer le texte luba, il convient d’envisager un cinquième aspect de l’existence qui consiste au psychique, à l’esprit. En effet, Maweja Nangila conçoit d’abord les choses – en l’occurrence les quatre premiers êtres – avant que celles-ci ne viennent à l’existence. Chacune de ces choses a donc préalablement sa propre forme de « vide vivant », avant que de se révéler à l’existence matérielle par l’un des quatre aspects précédemment évoqués. Et c’est cette forme primordiale de « vide vivant » que nous nommons ici « aspect psychique » de tout ce qui est.
C’est cette dimension psychique commune à tous les êtres qui rend possible leur intercommunication au « plan invisible » : on ne peut pas comprendre pourquoi le Mwene, le Sama, le Hugan, ou le Nganga, parle à l’Arbre, au Fleuve, à l’Ancêtre, comme au Silure ou au Python, si l’on n’intègre pas cette caractéristique cruciale de l’unité de l’Etre, notamment dans la dimension psychique des êtres.
Ogdoade, Ennéade, Spirale : interactions protéiformes des éléments du Multiple
Au commencement du processus de création, Maweja Nangila vibra. Aussi, les Luba représentent-ils les « traces » de cette vibration originelle sous la forme du « Serpent Python Lové » ; forme dénommée Mikono ya Malonda : « Cette spirale à spires régulièrement striées ou spirale à secteurs successifs signifie le mouvement de la vie des Ntu […] La vie se confondait au début de la création au mouvement, au passage entre deux niveaux énergétiquement différents. […] La spirale Mikono ya Malonda nous rappelle étrangement l’image de galaxie spirale considérée actuellement comme étant la figure représentative du premier mouvement de la création. [9]»
La séquence du commencement, c’est-à-dire des transformations successives provoquées par la première vibration, culmine avec l’apparition de huit (deux fois quatre) Mvidie Minene. Ces derniers évoquent assurément l’ogdoade hermopolitaine : [Noun, Amon, Kouk, Heh] et leurs jumeaux respectifs [Nounet, Amonet, Kouket, Hehet], qui expriment les notions fondamentales duelles ; à savoir matière/antimatière, visible/invisible, ténèbres/lumière, infini/fini. En outre, l’ensemble de neuf éléments formé par Maweja Nangila avec ces huit Mvidie Minene évoque la fameuse ennéade de la Cité-de-Rê (« Héliopolis ») : Atoum (Non-crée initial), Tefnout (humidité), Shou (air), Geb (terre), Nout (ciel), Wsirê, Seth, Astou et Nabintou.
Au total, de la vibration primordiale émanèrent douze premiers éléments : d’un point de vue cosmologique, ceux-ci font évidemment penser aux douze planètes composant notre système solaire. Lesquelles seraient nées de l’explosion d’un « œuf » très fortement concentré en énergie ; selon la théorie occidentale dite du « Big Bang ». Dans cette perspective astronomique, le Soleil Atoum-Râ est la figure emblématique de Maweja Nangila ; en tant que fonction régulatrice de sa propre activité de création. Une activité perpétuelle, puisque Maweja Nangila « crée encore, même de nos jours ». Et ce, jusqu’à « l’infini ».